sábado, dezembro 04, 2010

Oraison - Fernando Arrabal


DRAME MYSTIQUE

EN SCÈNE

Les deux personnages : Fidio et Lilbé, homme et femme.

Un cercueil d’enfant, noir.

Quatre cierges.

Un crucifix de fer.

Au fond, un rideau noir.

(La pièce ne comprend qu’un seul tableau.)

Obscurité. Faibles vagissements d’un nouveau-né pendant un moment. Soudain, cri perçant du bébé, suivi aussitôt d’un silence.

FIDIO. - A partir d’aujourd’hui, nous serons bons et purs.
LILBÉ. - Que t’arrive-t-il ? 
FIDIO. - Je dis qu’à partir d’aujourd’hui, nous serons bons et purs comme les anges. 
LILBÉ. - Nous ? 
FIDIO. - Oui. 
LILBÉ. - On ne pourra pas. 
FIDIO. - Tu as raison. (Un temps.) Ce sera très difficile. (Un temps.) On essaiera. 
LILBÉ. - Comment ? 
FIDIO. - En observant la loi du Seigneur. 
LILBÉ. -Je l’ai oubliée. 
FIDIO. - Moi aussi. 
LILBÉ. - Alors, comment allons-nous faire ? 
FIDIO. - Pour savoir ce qui est bien et mal ? 
LILBÉ. -Oui. 
FIDIO. - J’ai acheté la Bible. 
LILBÉ. - Et ça suffit ? 
FIDIO. - Oui, ça nous suffira. 
LILBÉ. - Nous serons des saints. 
FIDIO. - C’est trop demander. (Un temps.) Mais on peut essayer. 
LILBÉ. - Ça va être tout différent. 
FIDIO. - Oui, très.
LILBÉ. - Comme ça, on ne s’ennuiera pas, comme maintenant. 
FIDIO. - Et puis ce sera très beau. 
LILBÉ. -Tu es sûr ? 
FIDIO. - Oui sans doute. 
LILBÉ. - Lis-moi un peu le livre. 
FIDIO. -La Bible ? 
LILBÉ. - Oui. 
FIDIO, lisant. - “Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. ” (Enthousiaste.) Comme c’est joli. 
LILBÉ. - Oui, c’est très joli. 
FIDIO, lisant. - “ Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut. Dieu dit que la lumière était bonne et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi il y eut un soir et il y eut un matin ; ce fut le premier jour. ” 
LILBÉ. - Tout a commencé comme ça ? 
FIDIO. - Oui. Tu vois comme c’est simple. 
LILBÉ. - Oui, on me l’avait expliqué d’une façon beaucoup plus compliquée. 
FIDIO. - Les histoires de cosmos ? 
LILBÉ, souriant. - Oui. 
FIDIO, souriant. - A moi aussi. 
LILBÉ, souriant. - Et aussi l’évolution. 
FIDIO. - Quelles drôles de choses ! 
LILBÉ. - Lis-m’en encore un peu. 
FIDIO, lisant. - “ L’éternel Dieu forma l’homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses mains un souffle de vie et l’homme devint un être vivant ! ” (Un temps.) “ Alors l’Eternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l’homme qui s’endormit ; il prit une des ses côtes, et referma la chair à sa place. L’Eternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de l’homme. ”

Fidio et Lilbé s’embrassent.

LILBÉ, inquiète. - Et on pourra coucher ensemble comme avant ? 
FIDIO. - Non. 
LILBÉ. - Il faudra que je dorme toute seule alors ? 
FIDIO. - Oui. 
LILBÉ. - Mais je vais avoir très froid. 
FIDIO. - Tu t’y habitueras. 
LILBÉ. - Et toi ? Tu ne vas pas avoir froid ? 
FIDIO. - Si, moi aussi. 
LILBÉ. - Alors, on ne se disputera pas comme lorsque tu prends tout le drap ? 
FIDIO. - Bien sûr. 
LILBÉ. - En voilà une affaire difficile, la bonté. 
FIDIO. - Oui, très. 
LILBÉ. - Je pourrai mentir ?
FIDIO. - Non. 
LILBÉ. - Même pas faire des petits mensonges ? 
FIDIO. - Même pas. 
LILBÉ. - Et voler des oranges à l’épicière ? 
FIDIO. - Non plus.
LILBÉ. - On ne pourra pas aller, s’amuser, comme avant au cimetière ? 
FIDIO. - Si pourquoi pas ? 
LILBÉ. - Et crever les yeux des morts, comme avant.
FIDIO. - Ça, non. 
LILBÉ. - Et tuer ? 
FIDIO. - Non. 
LILBÉ. - Alors, on va laisser les gens continuer à vivre ? 
FIDIO. - Evidemment.
LILBÉ. - Tant pis pour eux. 
FIDIO. - Est-ce que tu ne te rends pas compte de ce qu’il faut faire pour être bon ?
LILBÉ. -Non. (Un temps). Et toi ? 
FIDIO. - Pas très bien. (Un temps.) Mais j’ai le livre, comme ça je saurai. 
LILBÉ. - Toujours le livre. 
FIDIO. - Toujours. 
LILBÉ. - Et qu’arrivera-t-il ensuite ? 
FIFIO. - On ira au ciel. 
LILBÉ. - Tous les deux ? 
FIDIO. - Si nous avons une bonne conduite, tous les deux, oui. 
LILBÉ. - Et que ferons-nous au ciel ? 
FIDIO. - On s’amusera. 
LILBÉ. - Toujours ? 
FIDIO. - Oui, toujours. 
LILBÉ, incrédule. - Ce n’est pas possible. 
FIDIO. - Si, si, c’est possible. 
LILBÉ. - Pourquoi ? 
FIDIO. -Parce que Dieu est tout-puissant, Dieu fait des choses impossibles. Des miracles. 
LILBÉ. - Ça alors ! 
FIDIO. - Et de la façon la plus simple. 
LILBÉ. - Moi, à sa place, j’en ferais autant. 
FIDIO. - Ecoute ce que dit la Bible : “ On amena vers Jésus un aveugle qu’on le pria de toucher. Il prit l’aveugle par la main et le conduisit hors du village ; puis il lui mit de la salive sur les yeux, lui imposa les mains, et lui demanda s’il voyait quelque chose. Il regarda et dit : j’aperçois les hommes, mais je vois comme des arbres et qui marchent. Jésus lui mit de nouveau les mains sur les yeux, et quand l’aveugle le regarda fixement, il fut guéri et vit tout distinctement. ” 
LILBÉ. - Comme c’est joli. 
FIDIO. - Il disait qu’il fallait être bon. 
LILBÉ. -Alors nous serons bons. 
FIDIO. - Et qu’il faudrait être semblable aux enfants. 
LILBÉ. - Comme des enfants ? 
FIDIO. - Oui, purs comme des enfants. 
LILBÉ. - C’est difficile. 
FIDIO. - On essaiera. 
LILBÉ. -Pourquoi as-tu pris cette manie maintenant ? 
FIDIO. - J’en avais assez. 
LILBÉ. - Seulement pour ça ? 
FIDIO. - Et puis c’était très laid ce que nous avons fait jusqu’à présent. 
LILBÉ. - Et qu’est-ce que c’est cette histoire de ciel ? 
FIDIO. - C’est là que nous irons après notre mort. 
LILBÉ. - Si tard ? 
FIDIO. - Oui. 
LILBÉ. - On ne peut pas y aller plus tôt ? 
FIDIO. - Non. 
LILBÉ. - Ce n’est pas drôle. 
FIDIO. - Oui, c’est le plus ennuyeux. 
LILBÉ. - Et que ferons-nous au ciel ? 
FIDIO. - Je te l’ai déjà dit : on s’amusera. 
LILBÉ. - Je voudrais te l’entendre dire encore une fois. (Un temps.) Ça semble impossible. 
FIDIO. - Nous serons comme les anges. 
LILBÉ. - Comme les bons ou comme les autres ? 
FIDIO. - Les autres ne vont pas au ciel, les autres ce sont les démons et ils vont en enfer. 
LILBÉ. - Et qu’est-ce qu’ils y font ? 
FIDIO. - Ils souffrent beaucoup : ils brûlent. 
LILBÉ. - En voilà un changement ! 
FIDIO. - Ces anges-là étaient très mauvais et ils se sont révoltés contre Dieu. 
LILBÉ. - Pourquoi ? 
FIDIO. - Par orgueil. Ils voulaient être plus que Dieu. 
LILBÉ. -Ils exagéraient ! 
FIDIO. - Oui, beaucoup. 
LILBÉ. - Nous, nous nous contentons de beaucoup moins.
FIDIO. - Oui, de beaucoup moins. 
LILBÉ. - Dis, je veux commencer tout de suite à être bonne.
FIDIO. - On commence à l’instant même. 
LILBÉ. - Comme ça, sans transition ? 
FIDIO. - Oui. 
LILBÉ. - Personne ne va s’en apercevoir. 
FIDIO. - Si, Dieu s’en apercevra. 
LILBÉ. - C’est sûr ? 
FIDIO. - Oui, Dieu voit tout. 
LILBÉ. - Il voit même quand je fais pipi ? 
FIDIO. - Oui, même ça. 
LILBÉ. - Je vais avoir honte maintenant. 
FIDIO. - Dieu marque avec des lettres d’or dans un très beau livre tout ce que tu fais de bien et dans un livre très vilain avec une écriture très laide tous tes péchés. 
LILBÉ. - Je serai bonne. Je veux qu’il écrive toujours avec des lettres d’or. 
FIDIO. - Tu ne dois pas être bonne seulement pour ça. 
LILBÉ. - Pour quoi d’autre ? 
FIDIO. - Pour ton bonheur. 
LILBÉ. -Quel bonheur ? 
FIDIO. -Pour être heureuse. 
LILBÉ. - Je pourrai être heureuse aussi en étant bonne ? 
FIDIO. - Oui, aussi. 
LILBÉ. - Est-ce que le bonheur existe ? 
FIDIO. - Oui. (Un temps.) On le dit. 
LILBÉ. triste, - Et ce que nous avons fait avant ? 
FIDIO. - Ce que nous avons fait de mal ? 
LILBÉ. - Oui. 
FIDIO. - Il faudra le confesser. 
LILBÉ. - Tout ? 
FIDIO. - Oui, tout. 
LILBÉ. - Et aussi que tu me déshabilles pour que tes amis couchent avec moi ? 
FIDIO. - Oui, ça aussi. 
LILBÉ, triste. - Et aussi... que nous avons tué ? (Elle montre le cercueil.) 
FIDIO. - Oui, aussi. (Un temps triste.) Nous n’aurions pas dû le tuer. (Un temps.) Nous sommes mauvais. Il faut être bon. 
LILBÉ, triste. - On l’a tué pour la même raison. 
FIDIO. - La même raison ? 
LILBÉ. - Oui, on l’a tué pour s’amuser. 
FIDIO. - Oui. 
LILBÉ. - Et on ne s’est amusé qu’un instant. 
FIDIO. - Oui. 
LILBÉ. - Si on essaie d’être bon, ça ne sera pas la même chose ? 
FIDIO. - Non, ça c’est plus complet. 
LILBÉ. - Plus complet ? 
FIDIO. - Et plus joli. 
LILBÉ. - Et plus joli ? 
FIDIO. - Oui, tu sais comment est né le fils de Dieu ? (Un temps.) C’est arrivé il y a très longtemps. Il est né dans une crèche très pauvre de Bethléem et comme il n’avait pas d’argent pour se chauffer, une vache et un âne le réchauffaient de leur haleine. Et comme la vache était toute contente de servir Dieu elle faisait meuh-meuh. Et l’âne brayait. Et la maman de l’enfant, qui était la mère de Dieu, pleurait, et son mari la consolait. 
LILBÉ. - Ça me plaît beaucoup. 
FIDIO. - A moi aussi. 
LILBÉ. - Et que lui est-il. arrivé, à l’enfant ? 
FIDIO. - Il ne disait rien, bien qu’il fût Dieu. Et comme les hommes étaient méchants ils ne lui ont presque rien donné à manger. 
LILBÉ. - En voilà des gens ! 
FIDIO. - Mais un jour dans un royaume très lointain des rois qui étaient très bons ont vu une étoile qui glissait, accrochée au ciel. Ils l’ont suivie. 
LILBÉ. Qui étaient ces rois ? 
FIDIO. - C’étaient Melchior, Gaspard et Balthazar. 
LILBÉ. - Ceux qui mettent les jouets dans les souliers ? 
FIDIO. - Oui. (Un temps). Et les voilà qui suivaient l’étoile et qui la suivaient ; enfin, ils sont arrivés un jour à la crèche de Bethléem. Alors ils ont offert à l’enfant tout ce qu’ils portaient sur leurs chameaux : beaucoup de jouets et de bonbons et aussi du chocolat. (Un temps. Ils sourient avec enthousiasme.) Ah, j’oubliais, ils lui ont offert aussi de l’or, de la myrrhe et de l’encens. 
LILBÉ. - Que de choses ! 
FIDIO. - Alors l’enfant a été très content et ses parents aussi et la vache et l’âne. 
LILBÉ. - Et ensuite qu’est-il arrivé ? 
FIDIO. - Ensuite l’enfant a aidé son père qui était charpentier à faire des tables et des chaises. Comme il était très sage sa maman l’embrassait souvent. 
LILBÉ. - Un enfant pas comme les autres. 
FIDIO. - Il était Dieu. 
LILBÉ. - Oui, c’est vrai... 
FIDIO. - Ce qui était bien c’est qu’alors il ne faisait aucun miracle pour manger mieux ou s’acheter des habits chers. 
LILBÉ. - Et qu’est-il arrivé ? 
FIDIO. - Ensuite, il s’est fait homme, et ils l’ont tué : ils l’ont crucifié, avec des clous aux mains et aux pieds. Tu te rends compte ? 
LILBÉ, contente. - Ça devait faire très mal ? 
FIDIO. - Oui, beaucoup. 
LILBÉ. - Il devait beaucoup pleurer ? 
FIDIO. - Non, pas du tout. Il se retenait. D’ailleurs pour mieux se moquer de lui ils l’ont mis entre deux larrons. LILBÉ. - Des larrons mauvais ou sympathiques ? 
FIDIO. - Des mauvais, des pires, les deux plus mauvais qu’ils ont pu trouver. 
LILBÉ. - Ça c’est mal ! 
FIDIO. - Ah ! et puis ne voilà-t-il pas qu’un des deux larrons était plutôt un imposteur ! Un individu qui trompait son monde. 
LILBÉ. - Qui trompait son monde ? 
FIDIO. - Oui, il avait fait croire qu’il était méchant et tout à coup on s’aperçoit qu’il était bon. 
LILBÉ. - Et que s’est-il passé ? 
FIDIO. - Eh bien Dieu est mort sur la croix. 
LILBÉ. - Oui ? 
FIDIO. - Oui. Mais il a ressuscité le troisième jour. 
LILBÉ, contente. - Ah ! 
FIDIO. - Et tous se sont rendu compte alors qu’il disait vrai. 
LILBÉ, enthousiaste. - Je veux être bonne. 
FIDIO. - Moi aussi. 
LILBÉ. - Tout de suite. 
FIDIO. - Oui, tout de suite. 
LILBÉ. - Je veux être comme l’enfant qui est né dans la crèche. 
FIDIO. — Moi aussi.
Fidio prend les mains de Lilbé dans les siennes.
LILBÉ, inquiète. - Et comment passerons-nous le temps ? 
FIDIO. - A faire des bonnes actions. 
LIILBE. - Tout le temps ? 
FIDIO. - Enfin, presque tout le temps. 
LILBÉ. - Et les autres jours ? 
FIDIO. - On peut aller au zoo. 
LILBÉ. - Pour voir les choses du singe ? 
FIDIO. - Non. (Un temps.) Pour voir les poules et les pigeons. 
LILBÉ. - Et qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? 
FIDIO. - On jouera de l’ocarina. 
LILBÉ. - Le l’ocarina ? 
FIDIO. - Oui. 
LILBÉ. - Bon. (Un temps.) Ce n’est pas mal ? 
FIDIO réfléchit. - Non. Je ne crois pas. 
LILBÉ. - Et comment ferons-nous pour être vraiment bons ? 
FIDIO. - Tu vas comprendre. Si on voit que quelque chose gêne quelqu’un, on ne le fera pas. Si on voit que quelque chose ferait plaisir à quelqu’un, on le fait. Si on voit qu’un pauvre vieux paralysé n’a personne, eh bien on va lui rendre visite. 
LILBÉ. - On ne le tue pas ? 
FIDIO. - Non. 
LILBÉ. - Pauvre vieux ! 
FIDIO. - Mais tu ne comprends pas qu’on ne peut plus tuer. 
LILBÉ. - Ah ! Continue. 
FIDIO. - Si on Voit qu’une femme porte une lourde charge, on l’aide. (Voix de juge.) Si on voit que quelqu’un commet une injustice, on la répare. 
LILBÉ. -Les injustices aussi ? 
FIDIO. - Oui, aussi. 
LILBÉ, satisfaite. - On va être des gens importants. 
FIDIO. - Oui, très. 
LILBÉ, inquiète. - Et comment saurons-nous si c’est une injustice ? 
FIDIO. - On verra ça au jugé.

Silence.

LILBÉ. - Ça va être ennuyeux.

Silence. Fidio est découragé.

LILBÉ. - Ça va être comme le reste.

Silence.

LILBÉ. - On va s’en lasser aussi.

Silence.

FIDIO. - On essaiera.

Au loin on entend “ Black and Blue” de Louis Amstrong.

RIDEAU

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